Un temps pour vivre, un temps pour mourir
…selon le célèbre roman d’Erich Maria Remarque portant sur le retour d’un soldat allemand dans un pays en ruine à la fin de la seconde guerre mondiale. Cette période trouble est également celle du nouveau roman graphique de Teresa RADICE & Stefano TURCONI (le port des marins perdus, les filles des marins perdus ou encore Amour Minuscule), dans un camp de prisonniers pour soldats allemands et italiens au milieu des iles gelées Solovetskij, ancien goulag soviétique.
A la fin de l’hiver 1943, 3 hommes s’évadent de ce camp, un soldat allemand, un italien (Attilio, le narrateur de cette histoire) et un russe. Ils ne se connaissent, ne se comprennent pas (aucun ne parle la langue de l’autre) et n’ont aucune confiance l’un dans l’autre. Malgré les différences, cet étrange attelage va tenter de survivre à l’immensité des paysages russes et à la rudesse poudreuse de son climat, en s’apprivoisant petit à petit. Leur objectif de libération hypothétique devient rapidement le village du soldat russe Vanja où, parait il, sa fiancée Tamara pourra les aider à rester cacher jusqu’à la fin de la guerre.
Avec les codes des chemins de la liberté (film de Peter Weir de 2011), la mauvaise troupe traverse toute la Carélie en essayant d’échapper aux affrontements et de bénéficier de l’hospitalité des habitants des villages rencontrés.
Raconté du point de vue du soldat italien, le roman nous place dans les mêmes conditions que lui en ne traduisant ni les dialogues en allemand, ni ceux en russe. L’immersion est parfaitement réussie, on passe beaucoup de temps à essayer de deviner ce qu’essayent de dire les habitants russes croisés et le soldat Fuchs à Attilio.
Le récit entrecoupe le long périple avec des flashbacks de la jeunesse d’Attilio dans les montagnes italiennes avant sa mobilisation.
L’avis de BDLIRE
Une nouvelle grande histoire humaine du duo multi récompensé pour le port des marins perdus. Sur fond de décor tragique cher à Tolstoi, Pasternark, Tourgueniev, Tchekhov ou Pouchkine, le récit de Teresa Radice parle amitié, trahison, amour, jalousie, haine, violence, bref de ce qui compose l’essentiel d’une vie humaine. Le parti pris narratif de ne pas traduire les propos russes et allemands est assez déstabilisant et frustrant, mais participe totalement à nous plonger dans l’incertitude que ressent en permanence ce trio si mal assorti. L’immersion est magnifiquement réussie.
L’auteur utilise également le même procédé narratif que celui du film Benjamin Button de manière à créer un climax saisissant. Le récit des 3 soldats d’une violence inouïe s’adoucit au fur et à mesure de l’album, tandis qu’à l’opposé, les flashbacks d’Attilio commencent par une enfance heureuse et contemplative pour prendre un tour de plus en plus tragique au pasasge à l’âge adulte. Ces 2 récits s’entrechoquent, s’électrochoquent même, au moment où nos 3 héros font enfin la connaissance de la fiancée de Vanja, Tamara.
Les aquarelles de Stefano Turconi sont une fois de plus magnifiques. La beauté des paysages est saisissante et invite à la plus grande contemplation lorsque les personnages portent leur regard sur l’horizon. On a même l’impression de participer à une troisième histoire, celle de la nature calme et pleine de délicatesse en parallèle de celle tout en fureur des hommes.
Teresa Radice et Stefano Turconi nous livrent encore une fois une très belle histoire pleine d’émotions, avec des personnages bien cabochés par la vie.
Un album magnifique, une fois de plus !
Pourquoi vous allez aimer ou pas
Si vous êtes un lecteur assidu des romans tragiques d’Erich Maria Remarque, des vastes étendues glacées de la toundra russe et des épopées humaines hors normes, cet album est fait pour vous.
Détails
- Éditeur : GLENAT
- Nombre de tomes : 1
- Parution : Janvier 2022
- Scénario : Teresa RADICE
- Dessins et couleurs : Stefano TURCONI